Alors, c'est un texte que j'ai fait à vitesse grand V parce que j'avais oublié que le concours se terminait le lendemain. J'étais dans la merde grave ! Du oup, j'ai réussi à pondre ça, mais j'imagine que c'est un peu baclé du coup. Surtout avec un thème aussi chiant : "Ils n'auraient pas dû s'aimer". J'ai fait ça et j'ai pas gagné :
Je m’appelle Lucas Honery. Je connaissais Marc depuis l’enfance. Les chemins empruntés par la suite furent très différents et j’imagine qu’un grand nombre d’amitiés s’estompent avec le temps. Pas avec Marc. Après le lycée, j’avais quitté ma petite ville natale de Traganne pour étudier dans diverses facultés qui ne m’apportèrent aucune véritable possibilité d’embauche. Plus le temps passait, plus les phases de déprimes grandissaient, mais je tenais bon. Peut-être grâce à Marc. Sans doute grâce à Marc.
Nous nous appelions une fois par semaine et je revenais tous les mois à Traganne pour le voir. Cette routine nous plaisait. Installés à la terrasse d’un bar, nous refaisions le monde durant toute l’après midi. J’évoquai mes problèmes et lui me parlait des siens, mais aucun de nous deux n’avait la prétention de connaître les solutions. Cela rendait nos conversations tragiques mais néanmoins rassurantes.
Marc n’avait jamais aspiré à quitter la ville. Il se sentait chez lui et y était. Il refusa catégoriquement de partir faire des études lorsqu’on le lui proposa et passa toute sa vie à Traganne. Il y mourut aussi.
Je revois souvent dans mes rêves, le regard de Marc lors de cet après-midi. Un regard peu rassurant puisque non habituel. J’avais commandé une bière et lui un café. Les boissons arrivèrent en même temps. Marc ne disait rien. Il ne parlait pas et je me sentais obligé de faire la conversation pour deux, sans oser aborder le sujet. Les yeux fixaient le café et de sa main droite, il faisait tourner la cuillère sans même avoir conscience de son geste. Marc ne mettait pas de sucre dans son café.
Alors que j’évoquais une possible offre d’emploi, il me coupa la parole :
- Je crois qu’elle n'est pas d'ici.
La phrase prononcée sur un ton monocorde me surprit plus qu’elle ne m’effraya. J’essayai vainement de trouver un rapport avec mon histoire d’emploi lorsqu’il leva les yeux vers moi. Il fit un léger sourire gêné signifiant sans aucun doute qu’il était désolé. Je connaissais bien ce sourire, il le faisait souvent lorsqu’il voulait s’excuser d’un geste ou d’un mot déplacé. Ce que je n’avais encore jamais vu en revanche, c’était ce regard. Il était effrayant, intense tout en étant vide de sentiment. Cela ne dura pas longtemps et très rapidement, Marc redevint lui-même. Mais je pense que je ne l’oublierai jamais. J’ignore s’il se rendit compte de mon malaise, cependant, il reprit la conversation comme si rien de tout ceci n’avait eu lieu.
- J’ai rencontré quelqu’un, me dit-il fièrement.
- C’est génial Marc ! C’est qui ? Attends, je suis sûr que c’est Julie ! Je t’avais dit que tu ne lui étais pas indifférent !
Marc sourit et balaya mon hypothèse d’un geste de la main.
- Alors la fille du boulanger, lui dis-je d’un air moqueur.
- Va te faire foutre. Tu ne la connais pas.
- Pourquoi tu ne m’en as pas parlé au téléphone ? Elle vient d’arriver en ville ?
- Je sais pas trop en fait, hésita-t-il.
Je terminai ma bière. Les mots de Marc étaient embrumés dans le minimum d’informations qu’il voulait bien me donner. Je sentais qu’il avait envie de s’ouvrir à moi et de tout me dire seulement quelque chose l’en empêchait. J’ignore encore s’il s’agissait d’une promesse ou de la crainte d’être pris pour un fou.
Nous restâmes assis à cette terrasse pendant deux heures. Au vu de son malaise, je n’osai le questionner davantage. Peut-être par crainte de la vérité, je ne sais pas. La discussion qui suivit n’eut aucun rapport avec la précédente. Nous évoquions tous les sujets possibles, du sport à la politique avec une légèreté que je n’arrive pas à oublier.
Ces images reviennent parfois me hanter. Aurais-je pu changer le déroulement de l’histoire ? Je n’en ai aucune idée. Cela fait ressurgir le désespoir ainsi que la culpabilité sans pour autant effacer la joie de ces quelques heures passées avec mon ami. Deux jours plus tard, Marc était mort.
Lorsque je rentrais à Traganne le week-end, le dîner chez mes parents avait quelque chose de protocolaire. Ma mère cuisinait un rôti de veau et me posait toutes les questions possibles sur ma vie dans la grande ville. Mon père, plus discret, mangeait d’un air naturel mais écoutait chacune de mes réponses. Ma petite sœur m’ignorait et se dépêchait de finir son repas pour retourner dans sa chambre. J’en ignore les raisons. Peut-être m’en voulait-elle d’avoir quitté le domicile familiale ou bien était-ce simplement la crise d’adolescence ? Peu importe après tout.
Le téléphone portable vibra dans la poche de mon pantalon alors que la tarte aux pommes, posée au centre de la table, était prête à être découpée. Je m’excusai et m’isolai dans le couloir. Marc m’appelait. Sa voix chevrotait sous la joie et l’excitation.
- Lucas ! je vais la revoir ce soir ! J’ai une de ces trouilles ! Il faut que tu la rencontres ! Viens avec moi !
- Je suis désolé mon vieux, lui dis-je un peu perturbé, ce soir je reste en famille. Mais demain si tu veux.
J’entendis un soupir puis un silence. J’attendis un peu avant de me demander s’il était toujours au téléphone.
- Marc ? T’es là ?
- Oui oui ! répondit-il d’un ton impatient. Écoute, demain, je ne sais pas si on pourra la voir, mais je te tiens au courant !
Il m’était difficile de discerner le bruit de fond que j’entendais, mais désormais, je pense qu’il s’agissait du bruit du vent dans les arbres.
- D’accord, dis-je sans essayer de comprendre. Tu m’appelles demain ?
- Je l’aime Lucas ! cria-t-il. Je peux le jurer sur tout ce que j’ai de plus cher, je suis fou amoureux d’elle ! Et je crois que c’est réciproque !
Je me mis à sourire. Bien que troublé, j’étais heureux pour lui. Ma vie sentimentale du moment se résumait à des histoires d’un soir avec des filles rencontrées dans des bars. Avec sa déclaration, Marc me donnait de l’espoir. Avant même que j’eus le temps de répondre, il reprit :
- Il faut que je te laisse, on se voit demain en tout cas.
Je regardai mon téléphone et comprit qu’il avait déjà raccroché. Toujours souriant, je rangeai l’appareil dans ma poche et retournai dans le salon. La tarte était bien entamée mais ils m’avaient laissé une part. Elle était délicieuse.
Marc me téléphona le lendemain matin. Il n’était plus aussi excité que la veille mais la sérénité de sa voix me parut étrange. Je venais de me réveiller. L’horloge du salon indiquait neuf heures et quart et la maison était vide. Ou presque : la chambre de ma sœur était fermée. Elle se couchait tard et se levait tard. Mes parents étaient probablement partis faire le marché de la place.
- Lucas, me fit Marc au téléphone, je pense qu’elle sera là cet après midi. Tu viendras ?
- Oui bien sûr sans problème, on se donne rendez-vous à quel endroit ?
- A la clairière, je t’attends pour trois heures.
Je m’attendais à ce que la rencontre se fasse en ville, dans un bar et le lieu me mit mal à l’aise sans que je ne puisse vraiment l’expliquer. Traganne était une petite ville entourée de vieux champs à l’abandon et d’une petite forêt de chênes située à l’extrémité ouest. Enfants, nous y traînions souvent. La clairière était notre lieu favori. Elle avait un côté envoûtant et magique que tous les gosses créent un jour pour un endroit leur étant cher. Mais cela faisait des années que je n’y étais pas retourné. Je pensais que c’était pareil pour Marc.
- Ah, bien d’accord, dis-je un peu décontenancé. Pourquoi là-bas ?
- Elle aime bien cet endroit. C’est ici que l’on s’est rencontré pour la première fois.
- Tu ne préfères pas aller à un bar ou…
Je ne terminai pas ma phrase. J’entendis Marc rire.
- Non, mon vieux, c’est pas une bonne idée. Tu comprendras quand tu la verras.
- Bon si tu insistes, me résignai-je un peu déçu. Au fait, comment elle s’appelle ?
Marc ignora cette question. Cependant, il en répondit à une autre. Sur l’instant, sa réponse me parut hors de propos et presque dénuée d’intérêt bien qu’obsédante. Je pense qu’elle était destinée à la question que je me suis posée les jours qui suivirent cette histoire.
- Elle est réelle, Lucas. Tout ça, c’est réel !
Il raccrocha. Je regardai mon téléphone portable avec des centaines de questions en tête, sans parvenir à trouver la plus importante.
- Fais attention à Marc.
Je sursautai en me retournant et cela la fit légèrement sourire. Ma sœur se tenait debout à l’entrée du salon, les cheveux ébouriffés par la nuit de sommeil. Je la regardai en fronçant les sourcils d’étonnement et son visage devint si sérieux que sur l’instant, ce n’était plus ma petite sœur que je voyais, mais une véritable femme.
- T’as bien dormi ?
Je ne sais pas pourquoi j’ai posé cette question inutile. Peut-être justement pour éviter d’entrer en plein cœur d’un sujet que je ne voulais pas connaître.
- On s’en fout de savoir si j’ai bien dormi, me fit-elle en soupirant. Je te demande simplement de te méfier de Marc.
Je me servis le café encore chaud du thermos et m’assis à la table du salon. Elle ouvrit le frigo, se servit un bol de lait et s’installa à côté de moi.
- De quoi tu veux parler ? Marc est parfaitement digne de…
- Je m’en fous de ce que tu penses, me coupa-t-elle.
Elle essaya de trouver ses mots et se mit à réfléchir en fixant la fenêtre donnant sur le jardin. A cet instant, je pouvais voir la femme qu’elle allait devenir et je me sentais fier d’elle.
- Il… il a changé, reprit-elle. Ça fait deux semaines qu’il est comme ça et il fout la trouille à toute la ville. Mardi dernier, il est sorti à trois heures du matin et a déambulé des les rues pour hurler des choses qui n’avaient pas de sens. Il s’est fait arrêter par les flics. Il n’avait pas pris de drogue et il n’était pas ivre, Lucas !
De la poche de son pyjama, elle sortit un paquet de Marlboro et alluma une cigarette. Je n’osai la réprimander de peur qu’elle ne veuille plus me parler et je pense qu’elle le savait également.
- Il y a deux jours, je l’ai croisé au supermarché. Je suis passé à… à un mètre de lui et il ne m’a pas reconnue.
- Tu connais Marc, lui dis-je en souriant. Il ne verrait pas un…
- Il m’a vue, Lucas ! Il m’a vue mais il ne m’a pas reconnue ! Il me connaît depuis toujours. C’est… c’est comme si quelque chose avait changé en lui. Comme s’il s’était déconnecté de la réalité. De son ancienne vie.
- Il est juste amoureux, dis-je en balayant d’un revers de main ses craintes.
- Amoureux ? me fit-elle agacée. Lucas, Marc ne parle plus à personne ! Il est toujours seul ! Tout le monde le fuit comme la peste ! Il n'y a personne dans sa vie !
J'écoutai attentivement sans oser l'interrompre. J'arrivais à discerner l'inquiétude dans ses yeux mais il y avait également autre chose. Une chose qu'elle n'aurait jamais osé m'avouer mais que je devinais de toute évidence. Elle avait peur de Marc.
- Mais si, il m'a dit qu'il avait rencontré quelqu'un. Il va me la présenter aujourd'hui...
Elle sourit amèrement en soufflant la fumée de cigarette.
- Je ne vois pas qui il pourrait te présenter...
Elle en resta là et moi aussi. Ma sœur et moi n'avons depuis plus reparlé de cette histoire. Celle-ci devint un sujet tabou, un secret maléfique enfermé dans un coffre qu'aucun de nous deux n'avons osé rouvrir. Nous n'en aborderons sans doute jamais le sujet et, bien que cela me soulage parfois, il y a encore en moi, un sentiment d'inachevé qui ne cesse de me poursuivre. Un puzzle dont les deux pièces centrales seraient détruites à jamais.
L'après midi même, je la rencontrais enfin.
Il devait être quatorze heures et demi. J'avais mangé seul à midi. Mes parents n'étaient toujours pas revenus du marché et ma sœur était partie chez une amie. Aussi, me suis-je décidé à partir en avance. Je mis quinze minutes pour arriver à l'entrée du bois, deux fois plus pour retrouver la clairière. Cela faisait des années que je n'y avais plus mis les pieds et beaucoup de choses avaient changées. Les passages empruntés autrefois étaient infestés de ronces et de mauvaises herbes. D'autres chemins, plus récents, avaient été faits entre-temps. Un peu perdu, j'utilisai ceux-ci sans connaître leurs buts. J'arrivai cependant à ma destination en ayant mis de côté tout sens de l'orientation. La clairière n'avait pas changé. J'avais craint d'être déçu en découvrant un petit endroit clairsemé que j'avais autrefois trouvé immense, mais ce ne fut pas le cas. Rien n'avait bougé. L'herbe verte ressemblait à un gazon de jardin et l'endroit était paradisiaque.
Marc était là. Il se tenait debout au milieu de la clairière, immobile comme une statue. Il me tournait le dos et ne m'avait pas entendu arriver. Je m'avançai à sa hauteur et observai son visage. Il fixait les arbres ou peut-être ce qu'il y avait derrière sans sourciller. Son sourire, figé lui aussi, me fit penser à ce que m'avait dit ma sœur. Je redoutais que la fille en question ne vienne pas.
- Marc ? Tu vas bien ?
Il ne répondit pas. J'attendis quelques secondes avant de me demander s'il s'était rendu compte de ma présence. Je levais la main pour lui taper sur l'épaule mais ne finis pas mon geste.
- Elle va arriver, me fit-il calmement. Ce n'est qu'une question de temps.
- Il n'est pas encore quinze heures, dis-je rassuré. Elle aura même peut-être du retard.
Marc ignora ma remarque, le regard toujours plongé dans le vide. J'étais sur le point de lui demander le prénom de celle que nous attendions quand le bruit de feuillage et de pas me coupa dans mon élan. Il venait d'en face de nous, derrière les arbres, se rapprochant doucement. Je jetai un coup d’œil à mon ami et vit son sourire s'agrandir.
- Elle arrive, m'annonça Marc.
- Elle a dû se tromper de chemin, il n'y a que des ronces et des broussailles là-dedans.
Ce que j'ai vu par la suite est non seulement difficile à expliquer, mais également à croire. Peut-être parce que même moi, je me refuse parfois de l'admettre. L'arbre était entouré de ronces épaisses comme un bras et personne n'aurait pu y pénétrer sans craindre de s'écorcher des pieds à la tête. La main apparut et agrippa doucement le tronc de l'arbre et les ongles, longs d'environ cinq centimètres s'enfoncèrent dans l'écorce.
J'essayai vainement de trouver une explication logique, me demandant si j'y voyais clair, s'il ne s'agissait pas d'un animal quelconque ou si tout simplement, je n'étais pas victime d'une hallucination. Le sourire de Marc me ramena à la réalité. Derrière cette main étrange aux allures humaines, il y avait celle que mon ami attendait. Je crois qu'à cet instant, je faillis frapper Marc. La stupéfaction et la peur me rendaient furieux contre lui, mais je ne bougeai pas. Je restai figé à observer la main et mon ami, mes yeux passant de l'une à l'autre sans comprendre la situation. Puis, le visage apparut sortant lui aussi des broussailles. Je poussai un cri de surprise en le découvrant. Hormis les yeux, le reste du visage était aussi vierge que les mannequins en plastique des boutiques de vêtements. La peau était pâle et lisse. Il n'y avait ni nez, ni bouche. Les yeux verts clairs et scintillants avaient quelque chose d'attirant et de beau. En l'espace d'un court instant, je compris ce que ressentais Marc. Il y avait dans le regard un côté rassurant et paisible et je me mis à envier mon ami. Je voulais rester ici indéfiniment, fixer ses yeux m'apportant le véritable bonheur. Ce sentiment ne dura pas plus de quelques secondes, mais il rodait encore comme une ombre lorsque je réussis à m'en détacher.
Les yeux verts balayèrent la clairière, se posèrent un court instant sur moi puis fixèrent Marc. Je n'avais aucune véritable notion du temps, mais je pense que la scène dura plus d'une heure. Le regard de Marc était plongé dans celui de la créature, le sourire béat de mon ami s'agrandit encore davantage. L'atmosphère de bonheur envahit l'endroit. Malgré cela, le doute grandissait au fur et à mesure que l'émanation de chair morte arrivait jusqu'à moi. Cette désagréable odeur devenait de plus en plus persistante et je compris qu'elle venait de la créature.
Marc fit un pas en avant. Puis un autre. Il s'approchait de celle dont il était tombé amoureux et se préparait à la rejoindre.
- Attends ! Lui criai-je en le retenant par le bras.
Il ne me répondit pas, trop concentré à se détacher de mon emprise pour continuer d'avancer.
- Marc ! Elle n'est pas humaine !
Je me précipitai en me mettant en face de lui et en lui tenant les épaules.
- Est-ce que tu te rends compte de ce que tu es en train de faire ? continuai-je de crier.
J'avais peur. Peur pour lui mais aussi pour moi.
- Tu ferais mieux de partir, me dit-il doucement d'une voix dénuée de sentiments. Elle ne t'apprécie pas beaucoup.
Pas un instant, il ne me regarda, trop obnubilé par celle qu'il voulait retrouver, son comportement me terrifiait.
- Marc ! Lui hurlai-je encore. Viens, on rentre !
Lorsque je finis ma phrase, Marc s'arrêta net. Il semblait avoir retrouvé un comportement normal, comme s'il sortir d'un état hypnotique. Son visage parut fatigué et des gouttes de sueur coulaient le long de ses joues.
- Je suis désolé, me fit-il confus.
Son sourire gêné me fit encore plus peur. Il annonçait une nouvelle que je ne voulais plus entendre.
- Je l'aime, reprit-il doucement. Et je sais qu'elle m'aime aussi...
- Marc, ne fais pas...
- Tout ira bien, t'inquiète pas mon vieux.
Résigné, je me retournai vers la créature. Elle comprit mes craintes et ma rancœur à son égard. Elle me fusilla du regard et ma peur grandit. Je sentais qu'elle me menaçait. si j'avais la moindre intention de me mettre en travers de sa route, elle m'éliminerait, j'en étais persuadé.
- À la prochaine, me fit Marc en marchant.
Cette fois, je le laissai partir. Rien n'aurait pu le faire changer d'avis. Je restai ainsi, à le regarder s'éloigner. Il s'enfonçait dans l’épais maquis sans réagir aux multiples ronces qui lui écorchaient les mains et le visage. Les yeux verts scintillaient avec une intensité telle, que je ne pouvais les regarder plus longtemps sans craindre de devenir fou ou aveugle.
Quelques secondes plus tard, ils étaient partis. J'attendis encore un peu, espérant un bref sursaut et un retour de Marc, mais évidemment, ce ne fut pas le cas. Choqué et déstabilisé, je me mis en route vers la ville. Je ne me perdis pas et atterris sur la route principale de Traganne dix minutes après mon départ. Je ne dis pas au revoir à mes parents, ni à ma sœur. Je pris la voiture et quittai la ville, les mains tremblantes, cramponnées au volant, la tête embrouillées par les scènes que j'avais vécues. Lorsque j'arrivai chez moi, je me couchai immédiatement et étonnement, m'endormis aussitôt.
Le téléphone portable sonna le lendemain matin aux alentours de dix heures. J'étais encore au lit et répondis d'une voix pâteuse et mal assurée.
- Lucas ?
La voix tremblante de ma sœur me sortit de ma torpeur.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? demandai-je en sortant du lit.
Elle m'annonça la mort de mon meilleur ami et fondit en larmes.
- Il a été retrouvé par un promeneur, tôt ce matin. Certains disent qu'il avait des griffures partout sur lui. Ils pensent qu'un ours aurait pu faire ça.
- Il n'y a pas d'ours à Traganne, murmurai-je.
- Quoi ?
- Non rien. Merci d'avoir appelé.
- Tu viendras pour l'enterrement ? demanda-t-elle.
J'ignorai la question et la remerciai encore avant de raccrocher.
Je ne suis pas allé à l'enterrement. Six mois plus tard, je retournai à Traganne. C'était le temps qu'il m'avait fallu pour digérer cette histoire. Pour comprendre, essayer de mettre des mots sur quelque chose d'inexplicable. La mort de Marc me paraît plus étrange encore que le reste. Parce que malgré la panique et la terreur qui s'étaient emparées de moi lorsque je m'étais trouvé confronté à la créature, malgré l'odeur de mort qui envahissait la clairière, j'avais compris une chose. Ils s'aimaient. Je l'avais vu, je l'avais senti dans leurs regards lorsqu'ils étaient plongés l'un dans l'autre et que l'atmosphère de bonheur planait sur nous. Marc l'aimait, cela ne fait aucun doute. Et bien que j'ai parfois du mal à l'admettre, je sais tout au fond de moi que je ne peux expliquer la mort de mon ami. Parce que je sais qu'elle l'aimait aussi.