Voici un texte écrit il y a de cela bientôt trois ans, à une période de ma vie assez "particulière"...
C'est certainement maladroit, pas très clair, mais le fait est qu'il est le reflet exact de l'état d'esprit dans lequel j'étais lorsque je l'ai écrit.
N'hésitez pas à commenter, j'en serais honorée.******
"Prochain Départ 8:30"- T'as la bougeotte petite...Y'a moyen que tu poses tes fesses ici et qu'tu restes tranquille ?
Les joues rouges d'excitation et de stress, je souffle à la manière d'un joggeur en plein effort, piétinant sur le quai sous les reproches et le regard agacé d'un homme assis sur un banc, juste derrière moi. Il est grand, horriblement maigre et mal coiffé. Ses yeux tombants et sa bouche sévère lui donnent un air plus qu'antipathique. Fringué comme un clochard, il me fixe de son regard accusateur.
D'autres personnes - majoritairement des jeunes de mon âge - attendent sur le quai. L’atmosphère pesante semble traduire l'appréhension de chacun.
Plus que dix minutes.Je ne sais pas ce qui m'attend, d'où mon appréhension. Je sais juste que tout le monde trouve ça important. Alors je me lance, moi aussi, parce qu'il est plus facile d'entrer dans le moule, de prendre une voie toute tracée. En l'occurrence, ici, une voie ferrée.
- Alors gamine, lance le clochard de sa voix nasillarde, t'as enfin décidé de bouger tes fesses ?
Son ton détestablement sarcastique commence sérieusement à m'emmerder.
- T'as saisi que dans la vie, on fait pas toujours s'qu'on veut, hein ?
Mais achevez-le !
Essayant de conserver mon sang-froid, je serre les dents et décide d'aller m'assoir un peu plus loin, sur le seul banc de libre. Fatiguée, stressée, énervée, je me demande où ce train va me mener. Je sens que je pars à contre-coeur, j'ai la détestable sensation de commettre une erreur. Le visage enfoui dans mes mains, je suis au bord des larmes, quand soudain je sens quelqu'un s'asseoir à mes côtés.
- Pourquoi tu pleures madame ?
Je lève la tête et me retrouve face à... un enfant.
Mon coeur s'accélère.
Je connais ses yeux.
J'en ai la certitude, sans parvenir à me l'expliquer.
Ils me fixent en silence, partagés entre l'étonnement et l'inquiétude.
L'enfant est beau, avec sa bouche ronde et son air grave.
- Je pleure parce que je ne sais plus quoi faire, finis-je par lui répondre sans le quitter du regard.
Ma réponse n'a pas l'air de lui convenir. Les sourcils froncés, il baisse la tête comme pour réfléchir puis la relève soudainement, le visage souriant :
- Tu peux faire... heu... que tu restes avec moi ! lance-t-il maladroitement.
Ça y est, je craque ; ce petit ange venu de nulle part a gagné mon coeur.
- Eh bien, j'aimerais beaucoup mais, vois-tu, j'ai un avenir qui m'attend... dis-je d'une voix douce. Si je décide de rester, je vais passer à côté de... enfin, je pourrais manquer beaucoup de...
Je vois qu'il peine à comprendre mais qu'il fait tous les efforts du monde pour assimiler chacun de mes mots. Son regard me transperce tandis que je cherche mes fins de phrases.
Soudain, une voix retentit dans toute la gare, annonçant le train de 8:30. Mon train.
L'enfant, imperturbable, n'a pas changé d'expression et attend patiemment que je continue.
- ...je dois prendre ce train pour construire la vie que j'aurai plus tard... C'est difficile à expliquer, dis-je d'un ton gêné. Si je n'y vais pas, je risque de gâcher... heu... enfin, je dois faire comme tout le monde, tu vois...
Je me mélange, je me sens vide, j'ai la désagréable impression que ces pitoyables explications ne sont même pas les miennes. Ça y est, le train est là et commence à freiner dans un bruit strident. L'enfant m'observe toujours, silencieusement, tandis que je noie mes paroles hésitantes dans ses pupilles obscures.
- Tu es tout seul ? demandé-je soudain, réalisant qu'aucun adulte ne semble veiller sur lui.
- Oui, répond-il en arborant une moue boudeuse. Mais si tu choisis pas le train, on disait que je resterai avec toi !
Bouleversée, je souris les yeux embués d'émotion, comme vaincue par ses paroles naïves et spontanées. Je ne veux plus partir. Je n'ai jamais vraiment voulu partir.
Le train désormais complètement arrêté accueille les premiers passagers. En quelques secondes, je sens que ma vie bascule, que ma décision n'est pas anodine. Je n'irai pas là où je suis "supposée aller", et tant pis si je me fais blâmer.
Je jette un oeil derrière moi. Avachi sur son banc, le Pessimisme est toujours là, l'oeil vicieux, la critique au bord des lèvres, guettant le moindre de mes gestes. Il attend que je me lève, il pense peut-être que je prends mon temps pour le narguer, mais que je finirai par monter à la dernière minute. Non, je n'irai pas.
Le coeur rempli d'un courage nouveau, je me tourne vers l'enfant et lui murmure d'une voix émue :
- Tu sais quoi ?
Le sourire aux lèvres, je prends sa petite main au creux de la mienne, tandis que le sifflement annonce la fermeture des portes.
- En fait, je vais rester.
****
- Maryne ? Maryne ! Réveille-toi chérie...
La douce voix de ma mère retentit au loin, faisant disparaitre l'enfant et la gare toute entière. J'ouvre les yeux, doucement, et constate que je suis allongée sur mon canapé.
- Je t'ai laissée dormir un peu plus, me dit ma mère, tu avais l'air épuisée. Comment te sens-tu ?
- Un peu vaseuse... dis-je en me levant lentement, l'esprit embrouillé.
Face à moi, le miroir du buffet me renvoie le reflet d'un visage épuisé, aux yeux gonflés et rougis par les larmes.
Les souvenirs de ces dernières vingt-quatre heures reviennent peu à peu : l'annonce, la peur, la dispute, la rupture... LA question.
Puis les images de mon rêve, cet étrange quai, ce clochard détestable... cet enfant.
Voyant mon regard ému, ma mère s'approche de moi, silencieuse, et me prend dans ses bras.
- Maman...?
- Oui ?
- J'ai longuement réfléchi...
Je me libère de son étreinte pour plonger mon regard dans le sien, avant d'annoncer, la voix tremblante :
- Je veux garder ce bébé.