De l'autre côté

De l'autre côté

***Au loin, le tonnerre gronde. La pluie ne nous laisse aucun répit, mais je la bénis. Elle couvre le son de nos pas.

***Même la lumière des lampadaires ne suffit plus à nous éclairer ; les ombres sont trop nombreuses, trop traîtres. Dans cette rue déserte de Long Island, plus rien ne me semble familier de toute façon. Cette putain de ville n'est plus qu'une ruine. Je serre les dents, serre encore un peu la main de ma femme et tente d'accélérer l'allure. En vain.
***- Rosa... S'il te plaît, il faut continuer, dis-je avec douceur.
Elle hoche la tête pour approuver, trop faible pour perdre son souffle en parlant. Ses lèvres sont sèches, son teint livide, mais son regard est toujours aussi intense. Depuis combien de temps fuyons-nous ?

***Tout me dégoûte. Les pavés, l’humidité de l’air, le silence pesant. Mon regard se tourne régulièrement sur les façades des immeubles, à la recherche d’un signe de vie. Un rideau qui bouge, une lumière allumée, n’importe quoi.
Non. Pas d’espoir inutile. Juste avancer.
Les pieds de Rosa raclent le sol. Son épuisement me brise le cœur.
***- Plus que quelques minutes… Regarde ! Le pont !
Un lampadaire grésille comme pour souligner mes propos et il me semble enfin apercevoir l’ombre d’un sourire sur le visage de ma femme. Je continue, sur un ton faussement enjoué :
***- Il nous suffit de traverser le pont et nous serons enfin libres ! Loin d’eux !
Le pont de Queensboro nous sortira de cette île maudite, tout droit vers Manhattan. Les rumeurs disent que, là-bas, les secours attendent les derniers survivants. Sans voiture pour le franchir, ce passage me semble soudain immense, aussi long à traverser qu'un pays.
Mon coeur se serre, et mon regard va une nouvelle fois vers elle. Ma femme. Ma Rosa. Souffre-t-elle autant que moi ? Je vois sa mâchoire serrée, sa pâleur et ses yeux grands ouverts par la terreur. Il me semble ne pas avoir entendu le son de sa voix depuis des heures.
Mon silence en dit long. Elle me retient avec une force surprenante, me tire vers le sol, et je prends conscience que ma tête va exploser si je ne fais pas une pause.
***- Oui... Oui, asseyons nous... Juste... juste un instant, d'accord ?
Je m’agenouille avec elle et passe une main sur sa nuque. Elle est à deux doigts de s'écrouler sans qu’une seule plainte ne sorte de sa bouche. Rosa. Ma courageuse Rosa.
Je ne te laisserai pas, mon amour. Sans toi, je ne serais pas là. Toi, tu ne m’as pas abandonné.
Je passe mon bras au-dessus de ses épaules, et sa tête retombe sur mon cou.
J’enfouis mon visage dans sa chevelure. Je soupire. L’odeur de sa peau m’apaise et mon esprit divague.

***Les rumeurs avaient pourtant enflé, sur le net. Les cas d'agressions et de cannibalisme se multipliaient, partout. Dans le Maryland, un étudiant qui affirme avoir tué son colocataire pour lui manger son coeur et une partie de son cerveau. A Miami, où un homme est retrouvé en train de bouffer tranquillement le visage d'un SDF. Ces étranges cas de démangeaisons et d'allergies collectives, en Floride, qui n'ont jamais trouvé d'explications. En Floride, encore, où un mec s'est littéralement cassé le crâne à l'arrière d'une voiture de police en se frappant la tête contre la vitre, avant de cracher son sang sur un flic.
Oui. On savait que quelque chose se préparait, mais il est plus facile de se dire que ce n'est que l'effet d'une nouvelle drogue, un délire de psychopathe, ou encore une exagération des médias. Mais les zombies, eux, se multipliaient. Sous notre nez.

***Un claquement, derrière nous, me fait sursauter. Je me fige, tous les sens en éveil, mais cette foutue pluie est encore plus forte qu'au début.
La pause a assez duré. Il faut partir.

***J'ai été très malade, pendant très longtemps. Rosa était toujours là pour veiller sur moi. Et, alors que la fièvre s'emparait de mon corps et de mon esprit et que tout le monde fuyait, Rosa est restée. Nous a barricadé chez nous pour me soigner. Oubliant sa propre santé. Lorsque je me suis réveillé, des jours plus tard, le monde avait changé. Les rues étaient désertes, sans aucune voiture, sans l'ombre d'un humain. Nous étions en quarantaine. Parqués comme des bêtes contaminées. Et Rosa, plus terrifiée que jamais, refusait de sortir et n'avait plus jamais perdu cette terreur dans le regard.
A présent, c'est à moi de protéger Rosa. De la mener vers un avenir plus serein que celui qui nous attendait à Long Island. Là-bas, de l'autre côté du pont.


***Lorsque Gab tomba sur la coupure de presse qui circulait sur les réseaux sociaux, ce jour-là, il frissonna et essaya en vain d'effacer cette impression de déjà-vu.
A Long Island, un homme avait traîné sa femme sur des kilomètres, devant des dizaines de témoins avant que l'un d'eux daigne appeler la police. Cette pauvre femme était apparemment morte depuis des jours, et son mari restait dans un état de délire avancé. Il affirmait que toutes les preuves étaient là, que les zombies envahissaient sa vie et en voulaient à sa femme. Trois policiers avaient été nécessaires pour le détacher de son cadavre.
***Le regard de Gab se porta sur l'écran de son ordinateur. Il y avait ces cas, en Floride, d'étranges démangeaisons que personnes ne pouvait expliquer. Ce mec, à Miami, retrouvé en train de manger le visage d'un passant. Lorsque les policiers l'avaient interpellé, il s'était contenté de grogner avant de reprendre son repas. Gabriel secoua la tête en soufflant, agacé. Cet homme était juste fou. On ne pouvait décemment pas prendre en compte l'avis de celui qui avait promené le cadavre de sa femme sur des kilomètres !

***La pluie frappait sans relâche sur le velux de son petit studio. Et Gabriel, toujours aux aguets, crût sentir son cerveau dériver. Il avait lu tous les articles sur le sujet zombie, mais pas un ne disait comment le virus pouvait se transmettre. Miami, Floride, Europe, tous ces endroits étaient bien trop éloignés pour que ce soit un véritable virus. Oui. Tout ça, ce n'était que du chiqué.

***Il éteignit son ordinateur et alla se coucher. Certes, les cas étaient de plus en plus nombreux et alarmants. Mais comment un virus pouvait se transmettre à différents points sur le globe sans atteindre les autres ? Lui, qui était en France, ne craignait donc rien. Théoriquement.
Dos à la machine, Gabriel ne vit pas l'écran de son ordinateur grésiller, et l'article s'afficher à nouveau. Il se contenta de penser qu'aucun virus ne pouvait l'atteindre ici, avant de somnoler sous une fièvre discrète.

***Deux heures plus tard, Gabriel s'armait de son couteau le plus aiguisé, persuadé que le monde était la proie des zombies. Il ne tarderait pas à faire la une des journaux, lui aussi. Et quelqu'un, sans doute, finirait par lire ce dernier article sur le sujet, très attentivement. Avec autant d'attention, peut-être, que celle de Gab qui avait lu l'histoire de l'homme de Long Island.

Et bien voilà un très chouette texte, dans lequel tu prends le parti d'utiliser l'actualité pour construire une fiction qui, du coup, semble très crédible. Un très bon exercice, surtout dans la partie Horreur.
Les deux révélations finales sont très bien amenées, le chemin vers le pont pas trop long nous tient en haleine, les infos sont bien disséminées... Bien joué !

J'aurais juste à te faire un reproche sur une partie :

Citation :

La pluie frappait sans relâche sur le velux de son petit studio. Et Gabriel, toujours aux aguets, crût sentir son cerveau dériver. Il avait lu tous les articles sur le sujet zombie, mais pas un ne disait comment le virus pouvait se transmettre. Miami, Floride, Europe, tous ces endroits étaient bien trop éloignés pour que ce soit un véritable virus. Oui. Tout ça, ce n'était que du chiqué.
Il éteignit son ordinateur et alla se coucher. Non, décidément, ce n'était pas crédible. Certes, les cas étaient de plus en plus nombreux et alarmants. Mais comment un virus pouvait se transmettre à différents points sur le globe sans atteindre les autres ? Lui, qui était en France, ne craignait donc rien. Théoriquement.
Dos à la machine, Gabriel ne vit pas l'écran de son ordinateur grésiller, et l'article s'afficher à nouveau. Il se contenta de penser qu'aucun virus ne pouvait l'atteindre ici, avant de somnoler sous une fièvre discrète.

Il me semble que tu insistes trop sur le fait que Gabriel ne trouve pas cette histoire crédible. On sent que tu as envie de souligner cette pensée pour donner de l'impact à la chute, mais tu répètes bien trop ce détail sur un si court passage, ce qui aurait tendance à l'alourdir.

Mais en gros à part ça, c'est un très bon texte, bien mené avec l'excellent style qu'on te connaît. Et le petit son d'ambiance est bien agréable.