Bon je suis nouveau, et avant de commenter tous textes je préfère que vous jugiez de ce que je vaux.
Je ne suis pas un héros
Je ne suis pas un héros.
Cette affirmation que j'ai tant émise révoltait plus d'une personne encore. Ils me considéraient comme un héros... Idiots. Ils ne comprenaient décidément rien. C'est comme ça maintenant, vous accomplissez quelque chose de bien, vous apparaissez comme un héros. Mais en réalité, cela ne signifie rien. Juste un titre que le jugement incertain des humains vous attribue sans en comprendre la réelle signification.
En outre, ce que je considérais de bien dans cette histoire, c'était ma spontanéité. J'en étais fier. Seulement, ce que je n'étais pas me hantait. Je sais que dit comme cela, cela peut paraître très obscur. L'histoire en elle même permet juste de comprendre pourquoi je me considère comme tel. Mais plus j'y pense moins c'est vrai. Ce n'est pas l'histoire, car une histoire peut être racontée d'une façon différente selon la personne qui la rapporte. Ce qui permet de comprendre mon état d'esprit... C'est moi.
*
Je ne sais pas si vous avez entendu parler de cette vague de fous de violence aux États-Unis déchaînée par des étudiants qui ne trouvaient plus de sens à leur vie. Ils s'armaient du mieux qu'ils le pouvaient, entraient dans leurs établissements scolaires et déclenchaient un carnage libérateur avant de se donner la mort. Et bien, je fus une de leurs victimes. C'était un jour banal d'hiver. La neige venait tout juste de tomber que l'obligation de se rendre en cours retentissait par le son strident d'une sonnerie. Mes amis et moi-même nous dirigeâmes donc vers les couloirs d'une couleur verdâtre qui rappelait celle des hôpitaux. Notre marche avait l'air funèbre. Nous riions naïvement sans se douter de la tragédie qui se préparait. La tragédie... Elle était derrière moi. Steve Dubois. Un garçon ordinaire peu aimé à notre lycée mais pas exclu pour autant. Un grand garçon blond ordinaire. Sa peau blanchâtre était mangée de boutons d’acné éparses. Il avait un nez proéminent et des lèvres fines où naissaient quelques rides aux coins de ses joues lors de ses rares sourires. Ses yeux ambre étaient cernés d'une paire de lunettes. Un garçon ordinaire qui n'avait pas de petite amie. Il était comme vous et moi.
Il était dans ma classe... Heureusement.
La première demi-heure du cours se passa sans grand incident. Tout allait bien lorsqu’il quitta la salle sans doute pour aller aux toilettes, je ne me souvenais plus de la raison exacte. Je me souviens juste que ce moment fut celui où je commençai à regretter d'être moi.
Un coup de feu. Il retentit dans le couloir, comme la cloche du jugement dernier qui annonce un avenir morbide. La classe se figea. Puis, comme si un ordre divin l'avait ordonné tout le monde se leva pour courir à la porte. Instinct de survie. Un autre coup de feu stoppa cet élan en plein mouvement. Je me levai tranquillement de ma chaise, tremblant intérieurement de terreur. Mes lèvres s'asséchèrent alors qu'une excitation mystérieuse m'envahissait. Je bougeais mes doigts nerveusement comme lors d'une longue attente passée dans une atmosphère tendue. Je passai les rangs les uns après les autres tout en restant concentré, car mes doigts demeuraient toujours crispés d'épouvante. Je slalomais entre les élèves, pour la plupart à demi levés de leur siège. Je les frôlais sans même m'en rendre compte: toute ma concentration était fixée sur le futur. Je me collai à la porte sous les yeux ébahis de mes camarades devenus aphones par la peur du fracas qui se répercutait encore sur les murs. J'écoutai. Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq pas. On s'approchait de notre classe. Je me plaquai à gauche de la porte contre le mur et, d'un geste de la main, intimai aux autres de faire de même. Bientôt le mur de la salle ressemblait à une aquarelle sur-laquelle on avait peint des formes tremblantes qui ne demandaient qu'à sortir du tableau. Je pratiquais depuis des années le karaté. Je n'aurais jamais pensé lors des entraînements que cet art martial puisse me servir dans de telles circonstances un jour.
Le temps ralentit lorsque la poignée de la classe se mit à tourner. La porte grinça quelques instants puis un morceau de métal luisant apparut. Une main se distingua ensuite. Sans même prendre conscience de mon geste je frappai aussitôt, aussi fort que je le pus.
L'arme s'envola avant d’atterrir lourdement sur le sol. Pendant ce laps de temps je fis face à Steve. Je me souviendrai toute ma vie de ce visage déchiré en deux : d'une part, la surprise de retrouver en face de lui quelqu'un qui osât le défier. Quelqu'un d'assez fou pour se dresser devant la folie. L’autre moitié de ce visage exprimait la douleur et la colère d'une vie meurtrie par des années de ténèbres que seule la mort pouvait apaiser.
Je lui enfonçai mon pied dans le thorax et il alla s'écraser contre le mur.
Mes amis eurent la bonne idée de courir loin de cet individu aussi vite que leurs jambes le leur permirent. Pas moi. Je savais qu'il n'aurait qu'à reprendre son arme et continuer sa route pour annihiler toute trace de vie dans ce bâtiment. Je ne pouvais me résoudre à le lui permettre. J'attendis donc qu'il se remît du choc ; mais à ma plus grande surprise il se mit à fuir. Il me fallut quelques instants pour ordonner à mes jambes de le poursuivre. Après deux ou trois minutes, sa course fut stoppée par un cul-de sac. Les couloirs s'étaient assombris et l'air se refroidit subitement. Il sourit et se mit à rire d’un rire franc, mais dénué de toute organisation mentale. Il résonna quelques instants à mes oreilles, me mettant mal à l'aise sans vraiment que je sache pourquoi. Il pointa vers moi son index et le porta à sa gorge, mimant un couteau en train de l'égorger. Je vis alors dans ces yeux une ruse malsaine qui ne présageait rien de bon. Une ruse qui ne laissait de place qu'à son créateur.
Je compris. Trop tard. Toujours comprendre l'essentiel trop tard. Je me retournai vivement et aperçus trois autres silhouettes hostiles se dessiner dans les profondeurs du couloir. Je réagis immédiatement, commandé par un instinct bestial : je fonçai tête baissée contre la personne isolée. Je sais, cela peut paraître insensé mais pas tant que ça finalement ; même si je me retrouvais toujours encerclé, je n'aurais plus à combattre de façon risquée enfin ...
Je lui assénai un coup puissant dans le ventre puis passai sur le côté ; j’écrasai mon talon dans l’intérieur de son genou, le soumettant. Et cela arriva.
Un réflexe inévitable porta mon coude à sa nuque. Je restai figé d'effroi. Je hoquetai, ma respiration était irrégulière. Des larmes clandestines me montèrent aux yeux. Je venais de tuer. Je n'y croyais pas et je n'arrivais pas à m'y résoudre. J'étais devenu ce que je combattais. La démence. Je me relevai lentement avec une nouvelle idée égoïste en tête : survivre. Les trois autres écarquillèrent les yeux. Je balançai mes bras d'avant en arrière, comme deux balançoires parallèles. C'était un vieux tic lorsque j'étais anxieux ou tendu. Là en l'occurrence c'étaient les deux. Je soufflai afin de me relaxer un minimum même si je savais cela vain, puis le jeune homme qui était au centre éclata soudainement de rire. Ce rire … Encore. Rien qu'en l'écoutant je pouvais saisir toute la nature de leur aliénation. Certes, j'avais tué un de leurs comparses mais cela ne les touchait pas outre mesure. A croire qu'ils étaient heureux pour le défunt.
Je fis un pas en avant et il sortit un pistolet en me criant de rester où j'étais. Quitte à mourir, cela serait en avançant fièrement devant mon ennemi. Je fis de nouveau quelques pas en avant et il se mit à hurler. Une vraie crise d'hystérie. Je refis quelques pas et là un bruit sec retentit. Mon genou. Mon genou venait de craquer sous la pression d'une balle qui s'était immiscée sous ma peau. Un jet de sang clair fusait hors de moi alors qu'une douleur aiguë me clouait au sol. Je serrai les dents pour ne pas laisser échapper un cri plaintif. Je tapais du poing le sol rageusement, frustré, honteux de mon inefficacité. Celui qui m'avait blessé s'approcha de moi, s'agenouilla et dit d'un susurrement jouissif :
« - On va te faire une faveur. On ne va pas te tuer... »
J'aurais préféré. Et c'est là que ma lâcheté me condamna au rang de traître envers mes amis. Il sortit un couteau. Je n'eus pas la force ni même le courage de me lever, de peur de ressentir une seconde fois cette douleur qui me paralysait entièrement les jambes. Maintenant que j'y réfléchis, je ne sais pas si ce fut ma conscience qui refusa à mes jambes tout mouvement, ou si ce fut la douleur physique qui ne céda tout simplement pas sous mon insistance de prouver au monde que je valais mieux qu'une simple balle dans la jambe. Je ne pus rien démontrer. J'avais tué et maintenant j'étais faible, démuni et lâche face à eux.
Une douleur plus prononcée que la première contracta mon bras. Je ne savais pas vraiment ce qui se passait jusqu'au moment où je sentis un corps étranger sortir délicatement de mon bras. Et là je compris une fois de plus l'horreur qui fut la réalité : il n'allait pas me tuer, bien sûr que non. Me torturer avait plus d’intérêt.
Et cela dura comme ça pendant près de... Combien de temps ? Je n'en savais rien. Deux minutes d'après ce qu'on m'a dit. Ça m’avait paru durer deux ans. Deux ans de tortures infâmes. Deux ans pendant lesquels personne ne vint me secourir, me laissant dans l’incompréhension et la souffrance. Ils me découpèrent lentement, chacun leur tour. Bras, dos, jambes, joues. Tout y passa ; le moindre centimètre de peau. Je fus surpris de voir que je pouvais toujours vivre en perdant autant de sang mais il me sembla à un moment qu'ils compressèrent mes blessures pour me garder en vie. Je ne criai pas. Je me rattachai à ça. Ne pas crier. Mais lorsqu'ils eurent une « nouvelle idée », je ne pus m'empêcher : ils me retournèrent comme l'on retourne un sac de pommes de terre. Et après avoir tailladé mes joues, l'un deux remonta doucement jusqu'à ma paupière. Il remonta encore lentement mais sûrement. C’était comme s'il combattait contre une emprise qui l'obligeait à commettre ces actes barbares. Il le fit. Il remonta son couteau d'un geste brusque qui se démarquait des autres. Il remonta. Un à-coup. Un cri. Une délivrance.
La suite ne fut plus qu'un tourbillon de souffrances. Je ne saisissais plus grand chose de l'environnement, tout était gris, blanc puis redevenait gris. Non, pas noir. Mon souffle se répercutait dans mes poumons. Les battements de mon cœur pulsaient à mes oreilles comme des tambours. Une vive brûlure consumait mon corps de l'intérieur. Mon premier réflexe fut de toucher mon œil. Non, je n'avais plus d'œil. Il ne me serait plus utile. Je criai rageusement, j'avais perdu un œil et tout mon corps était mutilé. J'avais perdu. Lorsque je compris qu'ils étaient partis. Je soupirai. Le lycée avait dû être évacué. Je me résolus à mourir où j'étais. Je laissai le froid m'envahir sans chercher à comprendre quoi que ce soit. Tout était fini.
Je me trompais. Un nouveau cri. Un nouveau coup de feu. Je bougeai les bras en demi-cercle afin de trouver la force de me lever, en vain. Ma main se posa sur le pistolet de ma victime. L'espoir et une motivation. Voilà tout ce que je venais de trouver. Voilà tout ce dont j'avais besoin. D'une de ces grandes résolutions subites que prend l'homme lorsque la vérité l'éclaire de mille feux. Je me levai, chancelant. Je m'appuyai d'une main sur le mur, mon arme pendant au bout de la deuxième tel un boulet qu'un bagnard traîne depuis l'exécution de sa sentence. Mon chemin fut sillonnée par une traînée de sang laissé contre le mur. Je regardais le sol, relever la tête me faisait trop souffrir. J'arrivais dans un hall. Trois filles étaient à genoux, elles pleuraient. Deux autres étaient mortes, et une autre luttait entre les ténèbres tranquilles et la vie douloureuse.
Dans un excès de haine égoïste, et pour sauver mes trois camarades, je vidai le chargeur s. Seul l'écho des détonations me parvint aux oreilles. Je m'écroulai ensuite et ce fut un noir total. Un noir calme. Un noir où j’étais enfin seul, loin de tout ça.
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Lorsque je me réveillai, ce fut pour voir la chambre blanc neige d'un hôpital. Je tentai de me relever sur le dossier du lit mais abandonnai vite l'idée : mes muscles meurtris ne se résignaient pas encore à me porter. Ma mère, une grande femme aux cheveux châtain et courts, se jeta à mon cou en remerciant le Bon Dieu, même si elle était athée. Comme s’il avait quoi que ce soit à faire avec ça. S'ensuivit ensuite un défilé de ma famille. Après, je dus subir l'enfer médiatique. Je fus épargné de tous clichés pendant deux semaines, le temps de ma convalescence.
Pendant ce temps, les policiers vinrent me voir pour me faire le rapport de leur enquête. Les quatre jeunes avaient commencé à perdre l’esprit lors d'une altercation devant le lycée. Depuis lors, on les avait systématiquement mis à l'écart. Je n'avais jamais été mis au courant, et pourtant, les nouvelles vont vite dans un lycée. Ils se sont renfermés sur eux-mêmes jusqu'à en devenir fous. A cette pensée je fus pris d'un petit ricanement dédaigneux : qui était le plus fou ? Cette micro-société scolaire qui creuse un écart systématique entre toutes personnes n'appartenant pas à ses critères, ou ces personnes qui ne souhaitent plus faire partie de cette société qui les a mangés puis vomis ?
Bilan : onze personnes mortes, dont les quatre fous, deux autres grièvement blessées, dont moi, et une autre traumatisée psychologiquement. Les policiers. Ces cons. Ils m’annonçaient ça, tout heureux, et en me félicitant. J'aurais pu les empêcher. Mais voilà, malgré tout ce que l'on désire, la volonté ne surpassera pas les lois physiques. Je le voulais plus que tout, mais je ne l'avais pas fait. Sept morts. Quatre fous.
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Elles étaient si belles. D'un rouge vif éclatant, elles dégageaient une odeur sereine et tranquille. Leur parfum enivra mon esprit d'une sensation étrangère bienfaisante. C'étaient elles. Je m'étais décidé. Je les achetai. Sept ? Non, Onze.
J'étais ici désormais. Devant les onze tombes. Les unes à côté des autres, elles étaient identiques. Je regardai les sept premières. Mon poing se serra alors que les circonstances floues de leurs morts m'apparaissaient par des bribes d'images incohérentes. Je baissai la tête, honteux. Quelqu'un posa sa main sur mon épaule pour me réconforter. Je ne dis rien. Depuis cet accident, je m'étais plongé dans un de ces silences pendant lesquels vous vous interrogez. Dans un de ces silences où il y a trop de bruit. Je ne distinguais plus grand chose de mon avenir. Le bandeau qui barrait mon visage afin de cacher mon œil meurtri m'en empêchait. La lumière n'était finalement qu'une ombre parmi d'autres. Je remarquai que déjà des chrysanthèmes poussaient aux pieds des tombes. Je respirai profondément. Les chrysanthèmes poussent, mon esprit se meurt. Les morts nourrissent les fleurs, et ma vie, quant-à elle, fane.
Je posai une fleur sur chacune des tombes. Comme un dernier au revoir. Comme un dernier soupir. La grille du cimetière se referma derrière moi, comme un choix qui s'impose à la vie.