Une p'tite inspiration soudaine qui m'est venue ce matin. J'avais envie de l'écrire pour ne pas l'oublier. Voici le résultat.
***
- Dit mamie, il y a quoi derrière cette porte-là ?
Léa ferma les yeux quelques instants.
- rien, ma petite Julia. Je n'ai même plus la clé de cette pièce. Ne te préoccupe pas de ça et va jouer.
La petite fille de 6 ans s'éloigna en bondissant, son visionneur accroché sur le côté droit de sa tête. Elle l'avait surement programmé pour un nouveau terrain de jeu à son goût. Léa se passa une main sur son visage maintenant ridé.
Elle aurait pu décider qu'il n'en serait pas ainsi mais elle ne voyait pas l'intérêt de cacher son âge. Elle était ce qu'elle était même si sa vie tirait en longueur maintenant. Elle avait déjà 123 ans. C'est fou ce que la technologie avait évolué depuis son enfance.
On vivait vieux de nos jours.
La maison de Léa était pareille à toutes les maisons de la ville. Très épurée. Très vide. Très blanche. Un agent venait vérifier chaque semaine que tout était en ordre, que les visionneurs fonctionnaient à merveille, etc.
Plus rien n'était comme avant. Des écrans garnissaient la plupart des murs de la maison. On pouvait y voir ce que l'on décidait... sauf ce qui était « vieux ».
Léa ne sortait d'ailleurs que presque plus. Quand elle avait envie de voir d'autres couleurs que le blanc ou de voir autre chose que des images créées par l’homme.
Il n'avait pas encore réussi à changer la couleur du ciel. Mais cela viendrait surement. Un projet parlait de tendre un écran géant au-dessus de la ville. La nature reculait face à l’homme et Léa avait l’impression qu’un jour tout serait blanc.
Les gens étaient-ils donc devenus stupides ?
La vieille dame se rendit près de son coffre. Dans celui-ci, il n'y avait qu'une seule chose : une clé.
Elle caressa celle-ci tendrement tandis que les larmes lui montaient dans les yeux.
C'était il y a si longtemps.
Les souvenirs remontèrent vers elle par vague.
Le premier écran plat, les ordinateurs toujours plus puissants, la domotique, l'évolution de la technologie. Oui à cette époque-là elle avait été comme tout le monde. Fascinée. Elle avait eu envie d'avoir tout cela.
Et cela avait progressé encore. Bientôt, chacun reçu son visionneur. Il suffisait de penser et on pouvait parler à qui on le voulait, voir les images que l'on décidait, se promener où on le voulait sans pour autant dépenser des sommes folles en voyage.
Les gens avaient adorés. Les gens avaient oubliés.
Léa prit la clé dans sa main et se dirigea vers la porte. C'était son petit plaisir personnel cette porte. A notre époque, une pensée et elle pouvait s'ouvrir mais la vieille dame avait voulu cette serrure et cette porte ancienne. On lui avait accordé.
Chacun était encore un peu libre chez soi. Mais pour combien de temps encore ?
Plantée devant la porte, elle hésitait. Cela faisait si longtemps qu'elle n'était pas entrée dans cette pièce. Elle s'était efforcée de ne pas mettre ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants dans l'embarras.
La clé glissa facilement et bien qu'elle n'ait plus été ouverte depuis longtemps, le clic caractéristique de la serrure retentit. Il ne restait plus qu'à pousser la porte. Ce qu'elle fit.
L'odeur de renfermé la prit au nez. Elle s'appuya au mur le temps de s'habituer à l'odeur et à la pénombre. Elle avança perdue dans ses souvenirs et s'installa dans son vieux fauteuil coloré. Ici, le blanc faisait place à la couleur. Les murs couverts d'étagères comptaient ce qui avait été oublié depuis longtemps : des livres.
Toutes sortes de livres. Il y avait même une vieille machine à écrire dans un coin de la pièce.
Dans cette pièce et cette ambiance, la vieille dame sourit. Elle se leva pour choisir un livre au hasard.
Le pacte des marchombres. Elle se rappela de son plaisir de l'avoir lu.
Plus loin, les fourmis de Bernard Werber. Un des premiers livres qu’elle s’était offert.
Sur l'étagère du haut, des encyclopédies.
Sur celle du bas, des bandes dessinées et des mangas.
Partout, du papier, des pages que l'on tourne, des personnages qui vivent derrière des mots et dans nos têtes.
Léa n'avait pas entendu son arrière-petite-fille entrer dans cette pièce. Son visionneur était éteint et ses yeux curieux étaient comme deux points d'interrogations plantés dans l'air.
La mamie appela la petite fille. Elle avait retrouvé un livre sur les fées. Un livre sans images qu'elle tendit à l'enfant.
D'abord suspicieuse, Julia prit l'objet d'une main. Elle ne connaissait pas cette étrange boite rectangulaire. Curieuse elle chercha le bouton pour l'allumer. Elle retourna le petit rectangle dans ses mains et le secoua. L'objet s'ouvrit alors puis se referma. Elle répéta l'opération et découvrit qu'il n'y avait aucun bouton. Elle devait juste soulever et tourner la matière blanche.
- Qu'est-ce que c'est mamie ?
La vieille dame sourit et s'installa dans son vieux fauteuil.
- Cela s'appelle un livre Julia. Cela raconte des histoires comme dans ton visionneur.
L'enfant secoua la tête négativement.
- Non ce n'est pas comme dans le visionneur. Il n'y a pas d'images. Juste des traits avec lesquelles je ne sais pas quoi faire.
L’arrière-grand-mère regarda la petite fille et lui murmura :
- Si il peut y avoir des images... mais elles seront dans ta tête. A toi seule.
Ecoute et ferme les yeux.
Léa entama la lecture de l'histoire tout en observant la petite fille.
- Dit moi Julia, comment est la fée de cette histoire ?
- Hé bien, elle est petite avec des yeux mauves. Ses cheveux sont roses et elle possède des ailes magnifiques pour voler.
- Comment le sais-tu ? Enchaina la vieille dame.
La petite fille fronça le nez comme pour une intense réflexion.
- C'était dans ma tête quand tu racontais cette histoire. C'est comme le visionneur mais..., elle chuchota pour le dire, ... en mieux ! Et tu sais pourquoi mamie ?
Léa fit non de la tête dans l'attente de la réponse de Julia.
- C'était moi qui décidais. Et j'avais même l'impression que la fée... c'était moi parfois.
La grand-mère sourit tandis que l'enfant prenait le livre dans ses mains. Précautionneusement elle caressa les pages illisibles pour elle qui avait vécu sa vie dans l'image du visionneur.
- Tu pourrais m'apprendre à raconter mamie ? Je voudrais connaitre toutes les histoires de cette pièce...
Les larmes aux yeux, la vieille dame acquiesça.
Julia lirait.
Bientôt, les livres ressortiraient de leur oubli.