THE suite
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Ils ne durent marcher qu'une quinzaine de minutes dans le petit air frais en cette soirée d'automne, Les yeux de Louna étaient vifs et tentaient de suivre tous les mouvements des feuilles qui s'agitaient ou tombaient. Elle adorait l'automne pour toutes les couleurs qu'il colorait sur le monde. Cela amusa Nathan qui aimait la voir aussi vivante. Il la préférait à tout à l'heure.
Il sonna devant un vieux porche. Ce dernier semblait sinistre et de mauvaise augure. C'était l'endroit idéal pour les petits larcins ou des coups de couteau ni vu ni connu. Leur ami Daniel descendit de son appartement pour les rejoindre. Grand et massif, il aurait été un excellent rugbyman s'il avait décidé d'en faire. Il était tellement imposant qu'au début, Louna avait très peur de lui. Néanmoins, le regard pétillant et doux qu'il avait contrebalançait sa forte carrure de brute épaisse. En vérité, il était tout sauf agressif. Un gros nounours à la guimauve, comme la jeune femme s'amusait à l'appeler.
- Salut les amis! Ça va, demanda-t-il.
Toujours de bonne humeur. Puis, sans attendre qu'ils lui répondent, il les invita à rentrer chez lui. Les escaliers en pierre étaient raides, et tous furent contents d'arriver au palier. Au seuil, un paillasson aux couleurs de la Belgique avec écrit dessus «Home sweet home» attendait leurs chaussures sagement. Daniel ouvrit la lourde porte en bois sur laquelle il avait ajouté deux verrous supplémentaires. Le deux pièces était simple, mais agréable. Les murs peints en blanc étaient recouverts ici et là d'images, reproductions de tableaux ou de posters. En face de la porte d'entrée, il y avait une autre porte qui menait à la chambre à coucher et à la salle de bains. A droite, le salon-salle à manger les attendait, avec d'un côté le canapé et la table basse, et de l'autre une table en bois et trois chaises. Sur leur gauche, la kitchenette se savait être utilitaire, pas davantage.
Les invités s'assirent sur le canapé, et leur hôte tira une des chaises et s'installa près d'eux, la fenêtre derrière lui. Il avait déjà préparé trois canettes de bière, qui les attendaient.
- Bon, alors, vous racontez quoi de beau?
Le couple se regarda en biais, le sourire gêné. C'était vrai: quoi de beau?
- Bah! Le train-train quotidien, répondit Nathan avec un haussement d'épaules.
Ce qui, bien entendu, ne satisfait pas Daniel qui soupira presque immédiatement.
- Si vous commencez à dire ça alors que ça fait pas six mois que vous vivez ensemble, vous êtes mal barrés vous deux, s'exclama-t-il canette en main.
Il but une longue gorgée et leur jeta un œil. Louna avait baissé la tête, à la limite de la honte et elle se tordait les mains nerveusement. Son compagnon n'en menait pas large non plus. Quelque part, leur ami avait raison..
- Vous avez forc...
- J'ai fait des cookies à la pistache, le coupa la jeune femme.
Daniel reprit contenance, sourit et s'exclama:
- Ah! Je savais bien que vous aviez un truc tout neuf qui attendait au chaud rien que pour mes oreilles!
Certes, il en faisait beaucoup trop; mais les connaissant tous deux, il avait adopté cette attitude là pour les stimuler et les encourager à s'ouvrir. Il avait parfois l'impression de se trouver face à deux huitres récalcitrantes. L'ennui, c'est qu'il fallait persister, parce qu'à peine ils osaient ouvrir leur bouche, ils se repliaient instantanément. Louna avait retrouvé sa position effacée, et semblait fascinée par ses chaussures. Nathan la sauva un peu.
- Et toi, quoi de neuf, demanda-t-il à son ami.
Celui-ci se carra, la canette tenue du bout des doigts, un large sourire peint sur son visage bouffé par une barbe assez fournie qui lui donnait aisément dix ans de plus. La meilleure défense était bien l'attaque.
- Oh! Tu sais, le train-train quotidien.... Non, je plaisante, enchaina-t-il très vite. Toujours dans mon délire d'auto-publication... En fait, ce qui est particulièrement pénible, et qu'on nous dit pas assez, c'est que ça prend énormément de temps, poursuivit-il en insistant sur le «énormément». Bien sûr que je savais dans quoi je me plongeais; mais on a ce sempiternel lot de surprises, plus ou moins bonnes, qui nous tombent dessus.
Les voyant toujours aussi figés que des statues, il soupira de nouveau.
- Dites, les bières vont tiédir, et vous savez que c'est dégueu' la bière qui se réchauffe.
Louna et Nathan partirent dans un chapelet de plates excuses à peine audibles, et entamèrent leur boisson simultanément.
- Et là, tu fais quoi, précisément, demanda le jeune homme?
- Je m'auto-corrige, souffla son ami, avec un ton acerbe.
- Pourquoi ne pas passer par une maison d'édition?
- J'ai toujours pas le fric nécessaire, ni la patience d'attendre que mon manuscrit soit validé.
- Oh! Je sais pas, je pensais que c'était plus sécurisant, murmura Louna.
Les deux mâles la toisèrent.
- Oui, enfin, non...C'est compliqué, éluda Daniel. Admettons que tu souhaites publier tes écrits...
La jeune femme rougit.
- Oh oui! Je sais que t'écris, sale petite cachottière! Bref, donc, admettons que tu souhaites publier tes écrits... Tu vas forcément te poser la question cruciale d'auto-publication ou pas. Et ça va te secouer les méninges pendant un moment, parce qu'il y a plein de facteurs que tu devras prendre en compte. Le pire, c'est qu'aujourd'hui, on ne peut pas se contenter de vivre de l'écriture. Tout le monde n'a pas cette chance là. Mais bon, là j'enfonce des portes ouvertes à coups de coudes.
Il fit une pause dans sa réflexion tout en buvant. Non, en fait, il allait s’empêtrer dans ses pensées.
- Bref. Hum! C'est pour dire si je ne sais pas quoi faire de ma vie...
- Dis plutôt que t'es en crise d'insomnie, plaisanta Nathan.
- Oh le vilain! Il m'espionne en plus!
- C'est pas moi qui parle mais Internet!
Daniel fit semblant d'être vexé. Et il l'imitait parfaitement, ce bougre.
- Il est vrai qu'il m'arrive de te voir toujours connectée à deux heures du matin, souligna la jeune femme.
Leur hôte se mit à rire.
- Ouais, je dors pas beaucoup ces temps-ci, admit-il. Bon, c'est pas que, mais il fait faim. Pas vous?
I les leva, posa sa canette sur la table basse et commença à s'occuper des pizzas qu'il avait sorties du freezer.