Azraël
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| Sujet: Le Passeur et la bataille des dames du monde Mer 6 Fév - 5:38 | |
| Je dis depuis déjà environ un mois que ce texte va être posté bientôt, il était temps que je le fasse ! Voici donc la quatrième aventure d'Alfred Kipps et Mrs Robinson. Vous remarquerez que ce texte est plus long que les précédents, ce n'était pas prévu mais c'était nécessaire. J'espère quand même que cela ne vous rebutera pas et que vous prendrez plaisir à le lire ! Comme d'habitude, je laisse pour ceux qui ne connaîtraient pas l'univers le lien vers les trois précédentes nouvelles, je pense que, notamment pour celles-ci, il vaut mieux lire ce qui s'est fait avant. Episode 1 : Le Passeur au chapeau melonEpisode 2 : Le Passeur et le PirateEpisode 3 : Le Passeur et le ConteurPuis évidemment, pour ne pas déroger à la règle, les musiques qui m'ont servi à imaginer et écrire ce texte ! Il y en a trois, du coup je mets juste les liens histoire de ne pas encombrer la page avec trois aperçus de vidéos. Je vous les place dans l'ordre dans lequel elles "apparaissent" dans le texte, puisque je les visualise toutes les trois sur un moment précis de l'histoire. Musique 1 : Journey to the line - Hans ZimmerMusique 2 : The Crystal chamber - James Newton HowardMusique 3 : Snow in August - Patrick DoyleEt sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! __________ Les récits des aventures de la singulière équipe de Passeurs que formaient Alfred Kipps et Mrs Robinson commencent bien souvent pas une tasse de thé. Celui-ci ne dérogera pas à la règle. Il y avait bien longtemps que les deux partenaires n'avaient plus croisé, dans leurs vertes contrées, des rêveurs, créateurs, ou simples explorateurs qui venaient quérir leur aide. Ainsi, en cet après-midi, Alfred et la chatte noire se remémoraient, non sans une certaines nostalgie, leurs plus extraordinaires péripéties. Et quoi de mieux qu'un délicieux breuvage pour les accompagner ? Car oui, croyez le ou non mais Mrs Robinson, qui rechignait bien souvent à quitter la douce chaleur de la petite maison pour mettre le nez dehors, s'ennuyait des rencontres aussi magiques qu'incongrues, lot d'un quotidien qu'elle appréciait plus qu'elle ne voulait bien l'admettre. Oh, vous imaginerez aisément qu'elle n'aurait jamais avoué ses sentiments ouvertement mais si vous aviez pu la voir, ce jour là, si vous aviez pu lui porter un regard attentif, vous auriez sans doute vu passer dans ses yeux une mélancolie qui ne lui était que fort rarement caractéristique. Vous vous doutez cependant que, bien que ne manquant pas d'intérêt, les échanges nostalgiques de nos deux héros ne seront pas l'objet de ce récit. Car en effet, en ce jour pourtant aussi grisâtre que les précédents, Mrs Robinson et son plus cher ami s'apprêtaient à être comblés au-delà de leurs espérances.
Tout débuta donc, comme je vous l'annonçais, autour d'une tasse de thé. Alors qu'il dégustait sa boisson chaude, assis près de la fenêtre, Alfred Kipps se remémorait, non sans quelques étincelles au coin de l'oeil, ses aventures passées.
***- Oh Mrs Robinson, vous souvenez-vous de ce vieil homme qui parcourait nos terres presque toutes les nuits et usait de vigueur retrouvée pour élire domicile dans les arbres ? se souvint-il.
La chatte poussa un miaulement de contentement lointain avant de laper à nouveau dans son breuvage.
***- Et cet austère homme d'affaire qui avait pris l'apparence d'un chef indien ! s'exclama-t-il ensuite. Quel honneur d'avoir fumé le calumet de la paix à ses côtés. Ah... Nous vivons à une bien triste période, les visiteurs se font bien trop rares parmi nous ces derniers temps.
Cette fois, Mrs Robinson ne répliqua pas et se contenta de plonger le regard dans le paysage, au travers de la fenêtre. Mais alors qu'Alfred la rejoignait dans sa contemplation, la vue fut soudainement obstruée par le visage d'un vieil homme à l'allure sévère qui vint se coller contre le carreau. Les deux Passeurs sursautèrent. En l'espace de quelques secondes, l'homme disparut et plusieurs coups rapides furent donnés à la porte. Aussitôt, Mrs Robinson bondit jusque dans le petit vestibule et miaula jusqu'à l'arrivée d'Alfred.
Patience, patience mon amie, lui dit-il, amusé mais non moins enthousiaste. Savourons ce moment ! Ils sont si rares ces derniers temps.
Le Passeur réajusta son gilet et sa chemise, s'éclaircit la voix puis, enfin, pressé par de nouveaux tambourinements, ouvrit la porte. Il fit aussitôt face au vieil homme aperçu quelques secondes plus tôt. Le visiteur, aux allures d'ancien combattant, arborait une tenue de militaire. Courbé, très fin, le visage émacié et le regard débordant d'agressivité, il n'était certainement pas de ceux auxquels vous auriez accordé votre sympathie au premier abord. Pourtant, si Mrs Robinson resta sur sa réserve, Alfred lui adressa son sourire le plus accueillant. Mais avant de pouvoir lui souhaiter, comme à son habitude, la bienvenue, l'inconnu hurla, le poing tremblant dressé vers lui.
***- VOUS VENEZ AVEC NOUS ! VOUS ÊTES DES NÔTRES ! ***- Très certainement mon bon monsieur. Mais puis-je me permettre de vous demander quelques précisions ? ***- PAS LE TEMPS ! PAS LE TEMPS ! NOUS DEVONS COMBATTRE ! COMBATTRE !
Alors que le vieil homme, de toute évidence à moitié dément, tapissait la porte de ses plus beaux postillons, Mrs Robinson resta stoïque et se demanda si elle n'aurait pas, finalement, préféré voir se prolonger ses vacances. Alfred, quant à lui, se tourna vers elle avec tout l'enthousiasme que vous lui connaissez désormais.
***- Vous entendez cela Mrs Robinson ? Un combat ! Ma curiosité n'a plus été aussi attisée depuis une éternité !
Si sa physionomie le lui eut permis, la chatte aurait accompagné son regard noir d'un haussement de sourcil.
***- VOUS PARLEZ AU MATOU ! VOUS ÊTES COMPLÈTEMENT TOQUÉ ! ***- J'éviterais de m'adresser en ces termes à Mrs Robinson si j'étais vous. D'autant plus qu'elle ferait un excellent soldat.
La chatte adressa à son partenaire un regard outré. Le vieil homme, quant à lui, la jaugea avant de reprendre ses hurlements.
***- SOIT ! VOTRE NOM ! ***- Alfred Kipps monsieur, et vous... ***- GÉNÉRAL ! SIMPLEMENT GÉNÉRAL !
Et à ces mots, il tourna brusquement les talons. Sans prendre la peine de se retourner, il somma les deux comparses de le suivre.
***- SOLDAT KIPPS ! SOLDAT ROBINSON ! EN AVANT !
Ainsi, Alfred posa son fidèle chapeau melon au-dessus du crâne, enfila son manteau, et, sa partenaire éberluée sur ses talons, entreprit de suivre le Général. Tous trois marchèrent de longues minutes dans le silence le plus absolu jusqu'à la sombre forêt qui faisait le charme du paysage, la contournèrent, et escaladèrent une petite colline derrière laquelle les attendaient une quinzaine de combattants. A l'image de leur Général, les soldats étaient tous très âgés. Tous tant bien que mal assis sur des montures fort peu reluisantes, il se dressèrent autant que leur dos abîmé par les années le purent à la vue de leur leader.
***- SOLDATS ! CES TERRES SONT DÉSÈRTES ! JE N'AI TROUVÉ PERSONNES ! ***- Mon Général, nous sommes là pour vous aider...
Dans un sursaut, le vieil homme se tourna vers Alfred et Mrs Robinson et écarquilla les yeux.
***- Quoi ? Qui êtes-vous ? ***- Vous êtes venu nous chercher pour vous aider à combattre, lui rappela Alfred. Dans la petite maison, proche de la forêt. ***- La forêt ! C'est derrière la forêt qu'elles se trouvent ! ***- Qui donc, mon Général ? ***- Nos ennemies, pardi ! Les diablesses aux ombrelles qui croient en savoir plus que nous sur la guerre ! ***- Dois-je en conclure que vous comptez les affronter ? ***- Qui ça ? ***- Celles dont vous me parliez à l'instant, les « diablesses » dont vous avez fait mention. ***- Êtes-vous l'une d'entre elles ? ***- A moins d'avoir été la victime d'un terrible malentendu à la naissance, je ne suis pas une dame, mon Général, plaisanta le Passeur.
Mais le guerrier, lui, ne semblait pas d'humeur à plaisanter et se contenta de le fixer de longues secondes, un sourcil arqué, à la manière d'un vieux professeur de mathématiques accusant du regard l'élève qui lui aurait lancé une boulette de papier. Alfred se contenta donc de se racler la gorge avant de reprendre.
***- Puis-je vous être d'une quelconque aide, mon Général ? ***- D'où sortez-vous, vous ?
Mrs Robinson miaula de lassitude, ce qui lui valut un nouveau regard réprobateur.
***- Allez les voir ! finit pas ordonner le Général. Renseignez-vous sur elles et revenez ici faire votre rapport Soldat... ***- monsieur. Je m'en vais quérir les informations en compagnie de Mrs Robinson. ***- C'est ça Fitch. Emmenez Mrs Barbington avec vous.
Et ainsi, sans prendre le risque de reprendre le Général de peur de voir s'éterniser à nouveau la conversation, nos deux partenaires entreprirent le voyage inverse afin d'y retrouver les diaboliques ennemies décrites par le Général. Alors qu'ils s'approchaient de leur but, et que Mrs Robinson priait en son for intérieur pour ne pas trouver de vieilles dames séniles amoureuses de félins qui s'empresseraient de la caresser et d'accrocher leur dentier à sa fourrure en l'embrassant comme une peluche, Alfred stoppa sa course. Caché derrière les hauts arbres de la forêt lorsqu'ils l'avaient contournée au cours de leur marche aux côtés du Général, le campement des adversaire faisait désormais face aux Passeurs, sonnés par le spectacle qui s'offrait à leurs yeux. Face à eux, ce n'étaient pas de vieilles dames qui se tenaient prêtes à l'affrontement mais des femmes d'un âge moyen, droites comme des piquets, vêtues de robes noires au col rond. Mais la natures des « diablesses » ne fut pas la plus étonnantes découverte des deux partenaires. En effet, si les soldats s'apprêtaient à entrer en guerre montés sur de vieux chevaux fatigués, c'était sur de grands dragons aux couleurs variées que celles qui arboraient l'allure de dames du monde comptaient leur faire face.
Alors qu'Alfred observait le campement avec fascination, les futures combattantes remarquèrent sa présence. L'une d'elle, de toute évidence à la tête du groupe, releva le menton, déploya une ombrelle sombre et, d'un air serein, le rejoignit.
***- Bonjour à vous, monsieur, déclara-t-elle d'une voix claire aussitôt à la hauteur des deux Passeurs. Veuillez-nous excuser, mes collègues et moi, pour la gène occasionnée. Nous ne serons pas longues. ***- Ne vous inquiétez pas, madame. Nous serons ravis, Mrs Robinson et moi-même, d'observer votre curieux combat.
L'inconnue à l'ombrelle plissa un instant les paupières, se tourna vers la chatte et, pas étonnée le moins du monde, s'inclina pour la saluer.
***- Je constate que vous êtes déjà bien renseigné monsieur... ***- . Alfred Kipps, pour vous servir madame... ***- . Mrs Julia Rosebury. Puis-je me permettre de vous demander comment vous avez pris connaissance de la raison de notre présence ? ***- Il semblerait qu'un certain Général dont je ne connais pas le nom m'ait suggéré de rejoindre ses troupes. Il m'a invité, en usant d'un sens de la courtoisie très personnel, à quérir quelques renseignements à votre sujet. ***- Il faut croire que le Général n'a pas choisi un espion des plus qualifiés, répondit Mrs Rosbury, un léger sourire au coin des lèvres.
Alfred ne put contenir un rire amusé.
***- Et bien voyez-vous, au vu de l'originalité de votre campement, je ne peux que penser que rejoindre le Général après vous avoir rendu visite ne m'enthousiasme outre mesure. ***- Puis-je donc vous inviter à vous joindre à nous, Monsieur Kipps ?
C'est donc avec un engouement cette fois partagé par Mrs Robinson qu'Alfred suivit la dame à l'ombrelle. D'un œil pétillant, il salua les autres combattantes qui murmuraient avec douceur des mots d'encouragement aux oreilles de dragons turquoises, rouges sang, ou encore dorés.
***- Puis-je vous demander la raison du face à face à venir, Mrs Rosbury ? ne put s'empêcher de demander Alfred tandis que sa guide lui versait une tasse de thé, assise avec élégance sur le dos de son dragon d'un blanc nacré. ***- Voyez-vous, j'ai de nombreuses fois rencontré les soldats que vous avez vus récemment. Ces hommes sont obnubilés par la guerre, dans ce monde ou dans un autre. Persuadés que nous sommes, de par notre sexe, incapables de les comprendre, nous leur avons proposé de les affronter. ***- Dois-je y voir une démonstration de vos talents plus qu'une guerre ? ***- Nous sommes totalement opposées aux affrontement sanglants que ces personnes adulent. Nos armes sont ailleurs.
De son doigt fin, Mrs Rosbury tapota sa tempe, ce à quoi Alfred répondit par un large sourire, et Mrs Robinson par l'un de ses rares miaulements approbateurs, entre deux dégustations de sa tasse de thé.
***- Et bien, Mrs Rosbury... S'il s'agit de faire une démonstration d'imagination, mon amie et moi serions honorés de nous joindre à vous ! ***- Dans ce cas, c'est avec un immense plaisir que nous vous accueillons parmi nous.
Aussitôt le thé terminé, Alfred et Mrs Robinson prirent place parmi les dames du monde, droites sur leur monture, ombrelle à la main. Alfred, en recul, adressa à son amie un regard complice et pétillant avant de prendre en main son chapeau melon, qu'il sera contre lui. Lentement, ses yeux se fermèrent et, derrière ses paupières, jaillirent une multitude de couleurs en des centaines d'étincelles. En lui, le Passeur réunit les instruments de son imagination, prêt à peindre dans sa réalité sa future création. Sans jamais ouvrir les yeux, Alfred sentit s'extirper de son crâne ce qui mûrissait en lui. Il vit le buste imposant du dragon, sa mâchoire féroce, il sentit, comme si la créature et lui ne faisaient plus qu'un, les pattes, puis les ailes s'extraire pour se déployer au vent. Puis enfin, la douce tempête qui s'était levée dans les tréfonds de son imaginaire s'adoucit, pour s'éteindre alors qu'il ouvrait les yeux, et faisait face à un splendide dragon argenté aux yeux d'un intense vert émeraude. Sous le regard admiratif de la quinzaine de dames qui l'entouraient, il prit place sur le dos de sa monture, accompagné de Mrs Robinson, non moins fière des prodiges de son ami.
Le silence s'installa sur la plaine, et les combattantes, installée avec dignité sur leur dragon, déplièrent leurs ombrelles. Ce ne fut que lorsque Mrs Rosbury, en tête, s'envola que tous suivirent. Alfred sentit battre les ailes de la créature argentée et savoura l'air frais qui balaya son visage. Une main sur le chapeau qui menaçait de tomber, il adressa un signe de tête à Mrs Robinson, à quatre pattes mais pas déséquilibrée pour autant, qui, les yeux à moitié fermés, profitait elle aussi de l'air frais qui faisait voler ses longs poils noirs et du paysage étendu face à elle. Décidé à profiter au maximum de cette mémorable aventure, Alfred fit voler son dragon jusqu'à la tête du cortège et y rejoignit Mrs Rosbury. La dame du monde en chef lui adressa un signe puis, à la vue du Général et de ses troupes, descendit en piqué. Le Passeur l'imita aussitôt et observa, non sans amusement, l'étonnement mêlé de terreur qui se lisait sur le visage des soldats. Sans jamais les toucher, les dragons volèrent autour des pauvres montures effrayées et des vieux hommes blancs comme des linges.
***- Et bien Général ! s'exclama Mrs Rosbury en passant à ras de sa tête. Voilà tout ce que vous avez à nous offrir aujourd'hui ?
Pour seule réponse, son adversaire dressa le poing vers la créature et, sans réellement savoir où aller, frappa le flanc de son cheval qui partit aussitôt au galop. Suivi par ses alliés, il tourna en rond et bientôt, son visage vira au rouge. Ce ne fut que lorsqu'il se décida à s'arrêter que Mrs Rosbury ordonna un atterrissage. En quelques secondes, les dragons eurent posé pied avec majesté et firent face aux chevaux déjà trop épuisés pour continuer à paniquer. Tous deux en tête de leur groupe respectif, le Général et Mrs Rosbury se toisèrent quelques instant. L'un avec agressivité, l'autre avec sérénité.
***- Nous avons convenu d'un arrangement, très cher, déclara cette dernière. Je serais bien déçue d'apprendre que vous n'avez pas mieux à nous proposer. ***- TOUT CECI EST DÉLOYAL ! DÉLOYAL ! ***- Nous savons tous deux que vous savez user de votre imagination. Si vous l'utilisiez à bon escient, nous serions sur un même piédestal...
L'adversaire sembla chercher ses mots quelques instants, mais sans rien trouver à répliquer, il se contenta de cracher.
***- Bon sang qu'il est vulgaire.
Commentaire que Mrs Robinson approuva d'un miaulement indigné.
***- CHANGEZ VOS TRUCS LÀ ! ON VA VOIR C'QUE VOUS VALEZ SUR DES CHEVAUX ! ***- J'ai bien peur que sur ce terrain, ce soit à vous de changer vos montures, mon brave, répliqua Alfred, placé en léger retrait de Mr Rosbury.
Le Général grimaça en avançant le visage.
***- C'est qui celle-là ? Elle est bien laide. ***- Mon nom est Alfred Kipps monsieur, nous nous sommes déjà... ***- Oh inutile de perdre votre temps, coupa une petite dame replète derrière lui. Il est complètement sénile. ***- Bien bien, reprit Mrs Rosbury. Mesdames, Monsieur, prenons un peu de hauteur !
Et à ces mots, les dragons s'envolèrent d'un même geste, et stagnèrent au-dessus de la troupe de soldats.
***- REDESCENDEZ SI VOUS ÊTES DES HOMMES ! ***- Je crains que cela ne nous convainque que fort peu, mon Général. Et si vous, vous ne rejoigniez ? Je suis certaine que ces chevaux retrouveraient de leur vigueur avec une jolie paire d'ailes...
Le Général ne répondit pas et observa les montures affaiblies qui l'entouraient. Lorsqu'il se mit à plisser les yeux assez fort pour virer au cramoisi, Mrs Rosbury afficha un sourire satisfait.
***- C'est cela, très cher. Ce n'est pas la première chose que vous créez, vous le savez mieux que moi...
Ces quelques paroles eurent tôt fait de produire leur résultat. Dans un même mouvement, les quinze chevaux se cabrèrent et hennirent jusqu'à ce que leur poussent de longues ailes. Revigorés par l'effort d'imagination inespéré du guerrier, les montures semblèrent soudain plus belles et plus vivantes. Alors enfin l'affrontement débuta. Encouragé par son exploit, le Général décolla, ses soldats à sa suite, et fonça vers les dragons qui les évitèrent, de toute évidence intentionnellement, au dernier instant. Tandis que le Général ciblait les attaques de son cheval ailé sur Mrs Rosbury, Mrs Robinson prévint Alfred d'un miaulement sonore de l'arrivée d'un soldat, décidé à en découdre.
***- Diantre, je crois que celui-là n'est pas venu nous proposer une tasse de thé !
En quelques instants, le cheval du soldats se mit à battre des sabots pour atteindre le dragon argenté, trop habile pour subir le moindre coup. Et le Passeur avait bien en tête qu'il en demeure ainsi.
***- Accrochez vous, Mrs Robinson, nous allons nous amuser un peu !
Et aussitôt, la créature fonça vers le sol pour remonter en piqué, droit vers l'ennemi. Mais au dernier instant, Mrs Robinson sauta sur le cheval ailé qui, déstabilisé, perdit tout sens de l'orientation. Si bien que, déséquilibré, le soldat chuta. Le dragon vola alors droit vers la monture et rattrapa l'adversaire tandis qu'Alfred récupérait Mrs Robinson au vol. Sans perdre un instant, le Passeur, qui ne s'était jamais autant amusé de sa vie, fila vers la forêt. Imperturbable, il déposa le soldat tétanisé au sommet de l'arbre le plus haut qu'il eut trouvé et lui déclara d'un ton courtois :
***- Et tenez-vous tranquille, voulez-vous ?
Puis sans se retourner, il se remit en chemin vers l'affrontement.
Alors que le temps passait, et que le Général et ses troupes se débattaient non sans mal contre les dames du monde et leurs dragons, l'énergie que le guerrier se voyait forcé à déployer pour résister à son ingénieuse assaillante stimulait inconsciemment son imagination. Ainsi, peu à peu, les chevaux gagnèrent en vigueur, jusqu'à ce que sa propre monture ne crache, à la manière des dragons du camp opposé, un important jet de flammes. Pas décontenancée pour autant, Mrs Rosbury dressa son ombrelles face à elle à une vitesse folle et contra l'attaque. Lui-même bien étonné de ce qu'il venait d'accomplir, le Général ne remarqua pas l'étrange phénomène qui se déroulait autour de lui. En effet, alors qu'Alfred et Mrs Robinson voyaient un autre soldat les prendre pour cible, celui-ci disparut dans une volute de fumée. Plus étrange encore, à chaque fois que l'un d'eux se volatilisait de la sorte, une dame du monde en faisait autant. Bientôt, sans qu'il n'en eut conscience, le Général se retrouva seul face à Mrs Rosbury dans un affrontement, cette fois, d'égal à égal. Au fil du combat, sa monture avait pris une teinte brune brillante et ses yeux d'un bleu électrique scintillaient. Lui-même avait changé. Le guerrier se tenait désormais droit et fier et les quelques cheveux qui se battaient au sommet de son crane dégarni avaient fait place à une luisante chevelure grise. Un sabre luisant à la main, il fendait l'air non plus comme un guerrier sanglant mais comme un chevalier tout droit sorti des plus merveilleuses aventures fantastiques.
L'affrontement, au sein duquel Alfred et Mrs Robinson jugèrent qu'ils n'avaient plus leur place, cessa lorsque l'ancien Général prit conscience de son évolution, et de la disparition de ses troupes. En un instant, il cessa toute activité et plongea son regard dans celui de Mrs Rosbury, qui lui adressa un signe de tête avant d'atterrir. Tous deux descendirent de leur monture et, dans le silence le plus absolu, celui qui avait été encore quelques heures auparavant un vieux guerrier sur la touche découvrit ce qu'il était devenu. Il ne sembla par surpris de la disparition du reste des combattants et c'est en l'observant adresser un regard lourd de sous entendus à Mrs Rosbury qu'Alfred comprit que toute cette histoire devait avoir du sens pour ces deux personnages.
***- Toutes mes félicitations, Général, finit par déclarer la dame à l'ombrelle.
Décontenancé, mais de toute évidence trop fier pour reconnaître ce que lui avait apporté celle qui fut son adversaire, le Général grimpa avec dextérité sur sa monture, serra la garde de son épée dans sa main droite et fila à toute allure avant de disparaître.
Discrets jusque là, Alfred et Mrs Robinson s'avancèrent vers Mrs Rosbury, qui leur adressa un chaleureux sourire.
***- Merci à vous deux pour votre aide. J'ose espérer que vous n'avez pas vu trop d'inconvénients à ce que j'utilise votre terrain... ***- Si cela devait se reproduire, j'espère bien que votre choix se portera à nouveau sur cet endroit, et que vous nous inviterez à vous rejoindre. Mais puis-je néanmoins vous demander de m'éclaircir sur un point ? ***- J'imagine que vous êtes curieux de connaître la nature du Général. ***- Vous lisez en moi comme dans un livre ouvert... ***- Fort malheureusement pour lui, le Général est un trépassé. Sa vie s'est terminée, et il voyage depuis de mondes en mondes en agissant comme le guerrier qu'il a été jadis. Si j'avais tant confiance en ses capacités, c'est parce qu'il avait créé ses soldats, convaincu que son pouvoir ne résidait qu'en une petite troupe prête à combattre à ses côtés. ***- Et vous avez fait de même pour l'affronter. ***- En effet. Nous étions à égalité jusqu'à votre arrivée, afin qu'il ne s'intéresse pas au nombre de soldats comme il le fait habituellement mais aux pouvoirs qu'il est capable de déployer. ***- Navré d'avoir brisé la symétrie... ***- Nous avons combattu sur vos terres, il aurait été bien impoli de vous refuser ce moment. ***- Et bien merci à nouveau, nous avons passé un délicieux moment. ***- Je reste néanmoins perplexe quant à votre manque de curiosité sur ma propre nature.
Sur cette question, Alfred adressa à Mrs Rosbury un sourire malicieux et remit en place son chapeau avant de répondre :
***- Tout ce que je sais, c'est que j'ai beaucoup à apprendre de vos méthodes, très chère, et qu'il a été un honneur pour ma partenaire et moi de rencontrer une collègue.
N'ayant plus besoin de mots pour exprimer leur gratitude respective, Alfred Kipps et Mrs Robinson s'éloignèrent pour rejoindre leur petite maison alors que Mrs Julia Rosbury disparaissait pour rejoindre la sienne, dans un tout autre monde. | |
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